Thursday, 28 February 2008

Durkheim. En 1902 déjà.

"Il y a tout d'abord une sorte de vieux préjugé français qui frappe d'une sorte de discrédit la pédagogie en général. [...] La pédagogie n'est autre chose que la réflexion appliquée aussi méthodiquement que possible aux choses de l'éducation. Comment donc est il possible qu'il y ait un mode quelconque de l'activité humaine qui puisse se passer de réflexion?


[...] De même que la sensation que nous avons de la matière nous la fait apparaître comme une étendue homogène, tant que l'analyse scientifique ne nous en a pas montré la savante organisation, de même la sensation directe du présent ne nous permet pas d'en soupçonner la complexité tant que l'analyse historique ne nous l'a pas révélée. Mais ce qui est peut être plus dangereux encore, c'est l'importance exagérée que nous sommes ainsi portés à attribuer aux aspirations de l'heure actuelle, quand nous ne les soumettons à aucun contrôle.

Car, précisément parce qu'elles sont actuelles, elles nous hypnotisent, nous absorbent et nous empêchent de sentir autre chose qu'elles-même. Le sentiment que nous avons de quelque chose qui nous manque est toujours très fort; par suite, il tend à prendre, dans la conscience, une place prépondérante et rejette tout le reste dans l'ombre. Tout entiers à l'objet vers lequel portent nos désirs, il nous apparaît comme la chose précieuse par excellence, celle qui importe avant tout, la fin idéale à laquelle tout doit être subordonné. Or, bien souvent, ce qui nous manque ainsi n'est pas plus essentiel, ou est moins essentiel, que ce que nous avons; et nous sommes ainsi exposés à sacrifier à des besoins passagers et secondaires des nécessités vraiment vitales."

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Emile Durkheim, in L'évolution pédagogique en France, Paris, Puf, 1938, Quadrige, 1999, 399 p.

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