Monday, 7 January 2008

Interview - Recteur de la chaire d'urbanisme à Bucharest.

Présentation.

Je suis recteur de la chaire d'urbanisme et d’aménagement du territoire. Ma spécialité est la gestion urbaine. J'enseigne aussi l'administration publique, la gestion d’agence d'architecture et la qualification stratégique. Je suis également en charge d’un atelier d'urbanisme, en ce qui concerne le projet de planification urbaine et de restructuration urbaine.

Vous travaillez sur des sujets très complexes, en urbanisme, qui prennent en compte un grand nombre de données. De notre coté, nous nous posons des questions sur la pédagogie, notamment la pédagogie de l'architecture et de l'urbanisme. Pensez-vous qu'il existe des particularités dans ces pédagogies des matières de la complexité? Comment apprendre aux étudiants à gérer ces difficultés?

Ca, c'est une provocation, parce qu'en ce qui concerne le temps qui est donné dans le programme des enseignements des architectes, il n'y en a pas assez pour faire une approche très compréhensive, très exclusive du point de vue des habilités qui sont nécessaires pour travailler dans le domaine de la planification urbaine. D'un autre coté, pour moi c'est une difficulté particulière, le fait que l'éducation et même le programme de notre école en ce qui concerne les architectes soit très penché sur tout ce qui concerne la création spatiale, ce qui est bien et naturel, et très nécessaire pour l'architecte, mais quand on se penche sur le domaine de la planification spatiale - planification urbaine, qui est plutôt abstraite quelquefois, ça donne des difficultés. Mais je crois que l'approche qui est actuellement mise en place ici se déclinerait en trois volets.
D'un coté c'est le vocabulaire du domaine. Ici, on a un problème un peu particulier en Roumanie parce que la langue roumaine a des néologismes qui sont presque tous venus du français (XIX XX°), mais en revanche, aujourd'hui dans la planification urbaine il y a une invasion de termes venus de la planification stratégique et de tous les domaines de management, issus de la langue anglaise. Donc, d'un coté le vocabulaire, de l'autre, l'approche et les modèles. C’est à dire les structures de planification, les étapes, les qualités du processus de planification, ce qui implique d'être enthousiaste, d'être participatif, d'être ouvert, etc. Et c'est seulement le troisième volet qui est au mieux à même de se pencher sur le développement des capacités à travailler avec des données, et qui fonctionne plutôt avec des exemples ; Des exemples qui sont expliqués, et c'est particulièrement important en Roumanie, où il y a assez d'exemples positifs dans le pays par rapport à la situation européenne, si l'on parle de pratique stratégique, et c'est donc important d'avoir des exemples qui soient bien expliqués. Ca, c'est la troisième partie du temps, qui est dédiée au processus. En termes de pratique pédagogique, et ça vient un peu des particularités des générations plus récentes d'étudiants, je trouve que c'est très utile de remplacer des conférences très longues, (même si c'est simplement parfois pour dépressuriser un peu la salle de cours : on a de temps en temps des salles de cent vingt ou cent quarante étudiants) durant lesquelles on ne peux pas avoir une approche très participative, et de mettre sur la table des sujets de discussion pour un peu d'interaction qui peut durer dix, quinze minutes, et de provoquer toujours une réaction de la part des étudiants. C'est important.
D'un autre coté, on a un autre problème qui, je pense, se manifeste maintenant: je ne veux pas être trivial, mais c'est une sorte de manque de respect de la continuité du temps ; on ne peux pas dire que les étudiants ne se concentrent pas longtemps, mais ils sont habitués aux taches qui sont plus clairement décrites, et qui ont des étapes précises, et cela permet aussi d'avoir une approche créative et novatrice. Dans mon domaine, je trouve qu’ un des problème est la terminologie, qui est difficile, parce que c'est une sorte de langue de bois qui est très facile à adopter par mimétisme, et c'est beaucoup plus difficile d'opérer et de construire du texte avec ça. Cela vient aussi de la structure de l'enseignement pré-universitaire en Roumanie, c'est encore un enseignement assez frileux par rapport à la capacité créative à structurer le texte, à structurer le raisonnement, à la manière d'avancer soi même sur un chemin, et c'est pour cette raison que le plus est important est de mettre ensemble le cours et le projet d'atelier. Bien sûr, c'est plus facile pour moi de faire ça à la faculté d'urbanisme parce qu'on a deux projets : un projet de planification urbaine et un de restructuration urbaine qui sont consécutifs et qui se développent en parallèle avec le cours. Pour l'architecture, c'est un peu plus difficile, et ce que je fais, c'est de remplacer dix ou quinze minutes de chaque cours par un petit test où il est demandé aux étudiants de répondre à des questions qui sont d'une part en relation avec le sujet qui a été abordé en cours, et d'un autre coté, qui les force à se mettre en relation avec les connaissances dont ils ont besoin. Par exemple, quand on fait l'introduction au cours de gestion générale, de management général, on utilise comme exemple l'école comme organisation, on leur demande de se "mettre dans les chaussures" du professeur pour voir l'école comme une organisation, pour voir comment on peut mieux utiliser les ressources pour obtenir plus d’efficacité.

Et c'est là quelque chose qui est inhérent à votre pratique pédagogique personnelle, ou qui est fait de concert avec l'administration?

Je ne pense pas que ce soit très méthodique, parce qu'il y a une assez grande liberté en ce qui concerne les professeurs dans la manière de faire leurs cours. Les étudiants, et en particulier les étudiants qui ont été en échange à l’étranger ont déjà commencé à être moins passif et à demander, à réclamer des changements de méthode pédagogique. Ce que je vous ai décrit, c’est ma méthode, elle est partagée avec d’autres collègues. Jje ne suis pas le seul à le faire dans l’école, mais je ne peux pas dire que ce processus est articulé au niveau institutionnel. Il est bien reçu, et en général les échanges d’opinion entre les professeurs s’opèrent beaucoup à l’échelle individuelle ou entre les chaires, mais il ne s’agit pas exactement d’une campagne de restructuration du processus pédagogique. Parfois les étudiants ressentent ça. Je pense que ça va évoluer avec le temps, parce que les vieux sont remplacés par les jeunes, mais d’un autre coté, la situation actuelle peut être favorable, parce que ça leur permet d’être exposés à plusieurs méthodes de travail. Je trouve en tout cas que c’est bien, et ça s’est d’avantage concrétisé ces dernières années, que les étudiants demandent le changement; en général, presque tous les professeurs prennent en compte ces observations. Dans certains cas c’est difficile. Par exemple (et c’est peut être bizarre), c’était plus difficile à l’atelier que dans les disciplines théoriques. Mais je crois que l’on ne peut pas discuter par catégories, c’est au cas par cas qu’il faut le voir.

Et dans l’atelier, vous avez réussi à changer votre pratique pédagogique. Ce sont également les étudiants qui l’ont demandé?

Moi, j’étais assez privilégié, parce que je travail dans l’école depuis dix-sept ans, mais en parallèle je travaillais en relations publiques, en recherche, et en consultation internationale. Je n’ai pas une carrière didactique comme il faut, donc je suis venu à l’école en poste définitif il y a dix ans.

Vous dites que vous n’avez pas une carrière didactique « comme il faut », mais je pense que vous avez justement « une carrière didactique comme il faut », vous avez fait plein de choses, c’est mieux, non?

Je n’ai pas bien compris.

Vous dites que vous n’avez pas une carrière didactique « comme il faut »…

…non non, mais je n’ai pas commencé par là… Maintenant l’école prend des étudiants qui ont juste fini, parce qu’ils ont besoin de professeurs, ils les prennent et ils font toutes les étapes d’une carrière didactique… maintenant j’ai compris ce que vous avez dit…

Vous ne pensez pas que c’est mieux d’avoir un profil comme le votre ?

Je crois que, au moins dans mon domaine, c’est essentiel, et c’est facile pour les architectes, par exemple, parce qu’ils ont toujours une pratique professionnelle en dehors de leur activité à l’école, mais d’un autre coté, je pense que j’ai beaucoup appris dans le programme d’éducation continue, auquel j’ai participé après 90, donc après « le changement » en Roumanie ; parce que j’ai été à Harvard, j’ai été à l’Ecole National Polytechnique de Toulouse, j’ai été à l’Institut d’Etudes Urbaines à Rotterdam, donc il y a beaucoup de méthodes pédagogiques que j’ai appris de là, donc c’est là aussi une situation favorable, mais je crois que pour les architectes, pour les urbanistes aussi, il y a besoin d’avoir des programmes, peut être de formation continue , en ce qui concerne les méthodes pédagogiques. Il y a, bon c’est peut être la tradition franco-roumaine, mais il y a beaucoup de bavardage en ce qui concerne l’atelier, et l’on a besoin de point de vue, de dialogue, de capacité d'écouter ou de répondre aux étudiants, ou encore d'explorer avec les étudiants, et même de définir ou redéfinir de temps en temps la relation entre les professeurs et les étudiants. Il y a besoin d'une certaine méthode, je trouve ça nécessaire.

Mais les professeurs ne sont pas formés à ça...

Non, je crois qu’ il y a peut être ici une différence entre les professeurs qui donnent des cours, qui emploient une méthode didactique, ce qui est parfois trop passif, et les autres, qui sont praticiens, qui dirigent l'atelier d’architecture et qui souvent parlent très bien de leur profession, de leur expérience professionnelle, mais cela peut conduire à laisser des lacunes dans la formation des étudiants. L'idéal est d'avoir les deux ensembles, mais statistiquement il y a peu de cas comme ca. Nous sommes privilégiés en urbanisme parce que chez nous, dans notre chair, presque tous les professeurs qui sont chargés des cours ont aussi un projet d'atelier. Ca nous force d'une certaine manière à être dans les deux camps, et je trouve ça important.

C'est comme ça que vous résolvez, peut être, le problème de l'interdisciplinarité?

Oui, d'un coté, et puis c'est d'avoir une certaine cohérence entre le cours, le séminaire, le laboratoire, et l'atelier. Il y a un problème parfois entre le séminaire et le cours, et ce qui se passe dans la tradition des grandes écoles est profitable parce que ce sont toujours les plus jeunes enseignants qui dirigent les séminaires. Ils peuvent donc soumettre à la discussion des sujets abordés pendant les conférences ou les cours. Mais je trouve qu’avoir une relation plus forte entre ces trois volets serait profitable. Et ce n’est pas facile, à mon avis, ni naturel. Il faut travailler un peu pour arriver à ça.

Est ce que vous sentez justement de la part de vos collègues, et en architecture plus particulièrement, qu'il y a une facilité à se remettre en question? Y’a-t-il une recherche, un questionnement sur ces méthodes didactiques?

Oui, je crois, et c'est peut être le cas de la Roumanie particulièrement, mais c'est sûrement pareil dans d'autres écoles, peut-être à cause du rythme, du changement dans la vie d'aujourd'hui en général, et dans l'architecture aussi, que nous sommes forcés de nous ouvrir, et d'être ouverts au changement, de se remettre de temps en temps en question. Si c'était beaucoup moins élastique quand j'étais étudiant, il y a vingt cinq ans, maintenant c'est beaucoup plus ouvert. D'un coté ce sont les jeunes générations qui ont étudiées dans d'autres pays, qui ont vu d'autres méthodes pédagogiques, qui sont parfois beaucoup plus ancrées dans la vie réelle, pratique, qui partent travailler dans des domaines connexes comme, par exemple, le webdesign ou d’autres choses. Ils sont beaucoup plus prêts au changement. Mais je crois que peu à peu cela nous pousse tous vers ça.
Du point de vue de l'architecte, c'est un débat éternel je crois : c'est une profession, un domaine de connaissances mais c'est un métier aussi. Et on a ce proverbe en Roumanie qui dit que le métier se vole. Donc je crois que l’architecture restera toujours un métier de maître. Pas exactement par mimétisme mais par la compréhension du maître. Et ça se passe dans les ateliers d’architecture aujourd’hui. C'est pour ça, peut être, que beaucoup des écoles ont choisi ce fonctionnement, et je trouve que c'est naturel. Notre école va faire cela aussi, le faire a une certaine dimension, pas tout le temps : Inviter des praticiens, des architectes qui ont une certaine réputation pratique. Peut être pour compenser, ou plutôt pour compléter ce qui est appris méthodiquement, mais de façon aussi à laisser la vitalité, la vivacité de ce dialogue avec un professionnel qui est toujours confronté à la réalité. Parfois c'est une difficulté institutionnelle parce qu'on ne peut pas toujours les avoir dans l'école, parfois c'est une question de finance... Je présume que chaque école veut avoir Mario Botta comme professeur invité, mais c'est difficile! Je trouve malgré tout que c'est incontournable d’essayer de fonctionner comme ça.

Et ici on peut parler de politiques, qui sont différentes d'une école à l'autre. J'ai visité en janvier une école en Hollande. C'est vrai que c'est une école qui n'a pas couvert tout le registre de formation de l'architecte, c'est plutôt un deuxième cycle avec des architectes qui ont déjà obtenu le bachelor et qui travaillent déjà, presque formés. Mais ils ont très peu de personnel stable, et les autres enseignants sont toujours invités en rapport avec le sujet qui est abordé dans un certain atelier, à un certain moment du semestre. C'est peut être cauchemardesque du point de vue organisationnel, et c'est peut être très cher également, mais ça peut donner des résultats. Et puis, je crois que c'est un problème auquel notre école est aussi confrontée ; quand on a une grande école, on ne s'occupe pas seulement de ce que l'on appelle les « performers ». On doit s'occuper de la masse des étudiants. Et il y a toujours ce questionnement de ce que l’on doit faire de « ça ». Soit on fait une architecture qui est médiane, pas médiocre mais médiane, qui doit prendre en compte, disons les conditions de pratique normale, soit on essaie de cultiver, de pousser les choses vers la très haute performance. Ou alors on fait les deux, et c'est très difficile.

Quelle est la réponse qui est donnée ici?

Je crois que cette école essaie de faire les deux, mais parfois c'est peut être le mécanisme institutionnel qui n'a pas assez de souplesse ou assez de force économique ou de liberté de temps pour forcer la performance. Je crois que le niveau moyen est assez haut. L'école pourrait être plus sélective et je pense que ce serait mieux si ça se passait dans les deux premières années que dans les deux ou trois dernières. Bon, statistiquement on peut avoir des pertes, des gens qui auraient pu devenir bons mais qui ne sont pas arrivés dans les deux premières années à démontrer leurs qualités, mais on élimine quand même une quantité de gens qui ne seront jamais au dessus d'une ligne médiocre. Je n'ai pas vu assez d'écoles en Europe pour me prononcer, pour dire comment se situe la notre. Moi je trouve qu'on pourrait être plus sévère durant les deux premières années. Ici on entre dans une autre discussion, qui n'est pas tout à fait parallèle mais dans un autre registre: c'est une université d'état, qui est financée parfois par le nombre des étudiants. Et ça, c'est un piège qui est toujours délicat à gérer.

Notre dernière question est certes assez vague, mais elle apporte toujours des réponses intéressantes: Si vous aviez à faire une école, votre école rêvée, à quoi ressemblerait-elle?

Ça, c'est vague! De quel point de vue?

De votre point de vue personnel... plutôt du point de vue organisationnel...

Je suis dans une situation confortable parce que j'étais impliqué dans l’établissement de cette école d'urbanisme que nous avons maintenant et qui est assez jeune: il y a seulement quatre ou cinq promotions qui en sont sorti jusqu’à maintenant. Mais je présume que si la réponse était si simple on aurait déjà des modèles idéaux mis en pratique. Je crois que maintenant c'est plus difficile qu'il y a vingt ans de définir un modèle d'école. D’un coté une école ne peut pas éviter d'être très conjoncturelle, autant économiquement que du point de vue de la situation sociale, et de celle des jeunes qui ont fini les études pré-universitaires; et d'un autre coté d'avoir la souplesse de s'adapter aux changements qui se passent autour en même temps que d'avoir l'énergie de forger une sorte d'individualité. Et c'est un problème sur lequel les écoles d'architecture en Europe discutent. On ne peut pas avoir un enseignement de l'architecture très uniformisé, on doit cultiver l'individualisme du point de vue de l'école et de la personnalité mais il faut avoir la souplesse nécessaire aux échanges, entre les écoles et en ce qui concerne les étudiants et les professeurs, et au sein de l'école elle-même, sans être pour autant une école en dérive. C'est peut être là, la proposition la plus fascinante si l’on discute d'une école... Et c'est finalement une question de ressources humaines. Pas seulement leur qualité, mais leur disponibilité de travail en équipe. C’est pour moi fascinant.
C'est une question de gestion d'éducation, qui est devenue ces dernières années aussi importante que la qualité professionnelle des professeurs. On peut avoir de bons professeurs et une école qui ne fonctionne pourtant pas ou pas bien, ou qui ne fonctionne pas en relation avec la société et ce que les gens attendent de ses produits. Et ça a été toujours discuté: Avoir de bons professionnels en charge de l'enseignement est une condition mais ce n'est pas suffisant. Et c'est peu être ici la proposition qui peut être fascinante si quelqu'un essaie de faire une école... bien sûr que l'on peut discuter des dimensions, si c'est une école grande ou petite, si c'est une école riche ou pauvre. Mais encore une fois, je crois que ce sont les personnalités qui comptent et d'un autre coté c'est l'habilité de l'école à répondre aux demandes les plus diverses du point de vue social. Même ce mouvement très facile entre l'architecture et l'urbanisme qui se fait aujourd'hui, je trouve que c'est d'un grand intérêt, et que c'est presque inévitable. Comme ça se passe dans le domaine du graphisme ou d’autres encore. On assiste à une fluidité plus grande.
Ici je peux finalement répondre. Je crois en un architecte qui est très personnel mais je ne crois pas en un architecte qui est très isolé. Et c'est peut être le péché originel de l'architecte, qui rêve, même en secret, de toujours imposer. Je trouve que c'est le piège de la profession.
Interview réalisée le 27 avril 2007 à Bucharest, dans le cadre du mémoire de master sur les pédagogies de l'architecture, encadré par Alessia DeBiase au sain de l'ENSAPB.

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