« Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. [...] »
Arthur Schopenhauer dans Parerga et Paralipomena, II. §396, Les porcs-épics.
L'école crée la polémique. Que ce soit sur le «quoi enseigner», le «comment enseigner», ou même le «pourquoi enseigner» les maîtres, devenus aujourd'hui professeurs, n'ont jamais réussi à se mettre d'accord. Ils avancent et ils reculent, à la manière des porc-épics de Schopenhauer, sans jamais trouver de position qui leur convienne à tous. C'est peut-être cette force du doute mêlé d'inconfort qui leur a permis de construire, il y a près de mille ans, l'institution scolaire suprême : l'université. Cette histoire triplement millénaire serait bien trop longue à décrire ici (1). Contentons-nous pour l'instant de comprendre les liens fondamentaux unissant l'institution scolaire et le monde qui l'a créée.
Avec l'invention de l'Ecole, le sorcier, le druide, le sage, et tout ces hommes qui ont œuvré pour la connaissance du monde trouvent un corps commun, voué au développement spirituel et intellectuel des jeunes générations. Le fait de s'organiser en écoles pousse ainsi les maîtres à travailler avec leurs pairs, voire à se confronter sur le sens et le bien-fondé de ce qu'ils transmettent aux élèves.
Les étudiants sont dès lors regroupés au sein d'une institution scolaire qui leur délivrera statuts et diplômes... s'ils ont eu la bonne idée de se conformer aux normes en vigueur. Car l'institution scolaire, comme toute bonne institution, est une affaire de normes (2).
Voilà ce qui nous intéresse ici. Plus précisément , ce sont les rôles que ce système de normes détermine. Car l'institution a beau avoir évolué, ses bases normatives restent les mêmes depuis les origines : ce que l'on apprend à l'école, et la manière dont on l'apprend, est défini par des conseils réunissant des professeurs et des administrateurs - et plus tard des étudiants. Ces conseils statuent sur le contenu des programmes, les méthodes pédagogiques, et même l'organisation des études. Ce sont eux qui discutent de ce que l'on apprendra demain, comment l'on apprendra, pourquoi l'on apprendra... et les réformes du système scolaire de se succéder au fil des sciècles.
A chaque réforme correspond une critique virulente, et cela depuis que l'école existe. C'est d'ailleurs ce qui permet à l'institution d'évoluer. J'en veux pour preuve les critiques envers l'autorité papale au XI° siècle, qui ont débouché sur la création de la première université, à Bologne (1).
Les critiques, lorsqu'elles sont fondées, donnent à voir le système sous un angle nouveau, servant de point de départ à la discussion. Prenons donc la critique d'Ivan Illich en référence, pour (re)connaître l'Ecole d'aujourd'hui.
Selon lui, le temps serait venu d'abolir le système pour aller vers une transmission des savoirs sans intermédiaires, de celui qui veut savoir à celui qui sait, grâce à de nouveaux « réseaux de transmission » (3).
Le problème n'est pas ici de juger de l'obsolescence, ou non, d'un système scolaire vieux d'au moins trois mille ans. Tâchons plutôt de comprendre ce qui a mené Illich, et bien d'autres, à repenser l'Ecole. Et voyons si cela entre en résonance avec nos écoles d'architecture.
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Pour l'histoire de la formation de l' « institution-Ecole », voir Michel Rouche dans l'Histoire de l'enseignement et de l'éducation, Th. I, Des origines à la Renaissance, éd. Perrin, coll. Tempus, Paris, 2003, 728p.
« Une institution est un système de normes qui structurent un groupe social, règle sa vie et son fonctionnement. »
G. Lapassade dans Groupes, organisations et institutions, éd. Gauthier Villars, Paris, 1967, 214p., p.197« Un véritable système éducatif devrait proposer trois objectifs. A tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes, et ce à n'importe qu'elle époque de leur existence. Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute personne qui souhaite les acquérir. Enfin, il s'agit de permettre aux porteurs d'idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l'opinion publique, de se faire entendre. »
Ivan illich dans Une société sans école, Paris, Ed. du Seuil, 1971, 187 p., pp. …
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