Dans l'enceinte des universités, certains mots sentent parfois le soufre : l'autonomie en est un ; la professionnalisation en est un autre. Evoquer devant des universitaires ce que pourrait être une approche professionnalisante ou "par compétences" des cursus universitaires entraîne souvent une levée de boucliers contre une supposée dégradation de la vocation de l'université. Il suffit d'évoquer la mission d'orientation et d'insertion professionnelle attribuée par la loi Pécresse au service public de l'enseignement supérieur ou le rapport Hetzel (2006) pour créer des crispations intellectuelles.
Il est plus que temps de sortir du marasme des confusions. De quoi ne s'agit-il pas ? Ecartons les représentations erronées. Tout d'abord, des cursus universitaires conçus avec une approche professionnalisante ou "par compétences" n'éliminent pas l'acquisition nécessaire de connaissances disciplinaires ou scientifiques de haut niveau et fondées sur les avancées de la recherche : un enseignant, un médecin, un chimiste, un avocat, un ingénieur, un psychologue sans de solides connaissances ne peuvent être compétents.
D'autre part, de tels cursus ne consistent pas à adopter une seule modalité pédagogique (telle que l'approche par problème ou par projet, adoptée par certaines universités américaines ou européennes). Ce qui doit être recherché, c'est une variété de situations d'apprentissage (cours magistraux, situations d'étude de problèmes, projets, laboratoires, conférences, ateliers, stages, travaux dirigés...) concourant de façon cohérente à des objectifs de préparation à la vie professionnelle.
Ils ne se limitent pas non plus à vouloir répondre aux besoins à court terme des secteurs professionnels employeurs. Les évolutions des métiers et des contextes professionnels sont tels que des programmes fondés sur une logique d'adéquation formation-emploi à court terme seraient inappropriés et dangereux. Il ne s'agit pas de transformer les universités en des écoles professionnelles préparant à des postes de travail ou à des emplois. Il s'agit plutôt de développer chez les étudiants une large palette de connaissances et de compétences pour qu'ils puissent faire face à l'évolution des secteurs d'activité, y réussir des parcours et des transitions professionnels.
Enfin, les approches par compétences ne traitent pas de la même façon les diverses facultés ou établissements d'enseignement supérieur. Elles doivent se concrétiser de façon différenciée selon qu'il s'agit de facultés ou de départements préparant à des métiers (médecine, ingénierie, psychologie, notariat...) ou préparant à des champs professionnels pouvant inclure une grande diversité de métiers (lettres, sciences humaines, philosophie, droit, sciences de l'éducation, histoire de l'art...). Les études doctorales préparant à la recherche mériteraient également une approche particulière.
De quoi s'agit-il donc ? L'évolution et l'ouverture internationale du marché du travail, les exigences de compétitivité auxquelles ne peut se soustraire la France, entraînent pour les universités la nécessité de concevoir les cursus de formation et des parcours permettant aux étudiants :
- de disposer de solides chances de réussite dans leur insertion et dans leur vie professionnelle ;
- de se positionner, dès leur sortie de l'université, comme des offreurs de compétences et non pas comme de simples demandeurs d'emploi ou diplômés ;
- de savoir combiner et mobiliser en situation professionnelle les ressources (connaissances, savoir-faire, modes de raisonnement, capacités intellectuelles, réflexion critique, culture...) qu'ils ont acquises dans leurs cursus. Une véritable politique d'alternance articulant les formations au sein de l'université et les stages trouve, ici, sa place ;
- d'évoluer et de se développer professionnellement afin d'être mobiles sur des marchés du travail de plus en plus instables ;
- d'avoir acquis une forte capacité de réflexion critique et éthique leur donnant la possibilité d'être des acteurs d'innovation et de progrès dans leurs futures activités et contextes professionnels et de travailler de façon solidaire et efficace dans des collectifs de travail ;
- d'effectuer de nouveaux apprentissages tout au long de leur vie. Actualiser ses connaissances, en acquérir de nouvelles ou les approfondir, intégrer de nouveaux savoir-faire, s'entraîner à des raisonnements divers, tirer les leçons de l'expérience constituent des impératifs pour tout professionnel soucieux d'évoluer et d'être à la hauteur des changements de son environnement. Une bonne capacité d'apprentissage est une ressource essentielle pour défendre son employabilité.
Une telle approche justifie-t-elle le blocage des amphis et des laboratoires auquel on a assisté ces derniers temps ? En quoi serait-elle incompatible avec les missions traditionnelles de diffusion de savoirs de haut niveau, de recherche avancée et de réflexion critique sur le savoir ? Il faut que des idéologies dépassées rendent bien aveugles pour ne pas voir le bien-fondé et l'urgence de repenser intelligemment les liens de l'université avec la vie professionnelle. Un jour viendra où les nouvelles générations demanderont des comptes. Et avec raison.
Guy Le Boterf est directeur de Le Boterf Conseil, professeur associé à l'université de Sherbrooke (Canada).
1 comment:
Et voila encore un exemple de types qui confondent tout.
Comme si l ingenieur, l'école d'ingénieur, pouvait etre comparé au philosophe, a l'université.
A force de vouloir trouver une solution simpliste a tous les problemes, ils vont commencer a m'ennerver tous ces types.
Franchement, comnme pour l'architecture participative, (quand on demande aux gens de quoi ils ont besoin, et comment ils le veulent, type Lucien Kroll) on devrait aller demander aux chercheurs quis ont dans les universités de quoi ils ont besoin et comment ils le veulent, plutot que de donner une methode miracle qui ne sert en rien aux principaux interesses.
C est pas en professionalisant l universite qu on reglera le probleme du chomage, et encore moins de la recherche. Alors s'oils vous plait, messieurs les messies reformistes du temps present, inspirez vous un peu du monde que vous voulez changer, plutot que de vouloir le faire a votre image.
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