Friday, 23 November 2007

politique

Quelle stratégie pour les universités de l'Union ?, par Thomas Ferenczi

LE MONDE | 22.11.07 | 13h54 • Mis à jour le 22.11.07 | 13h54









Alors même que le mouvement de protestation contre la réforme des universités s'étendait en France, les ministres européens de l'éducation, réunis à Bruxelles le 15 novembre, prenaient l'exact contre-pied des étudiants français et de ceux qui les soutiennent en appelant à poursuivre sans relâche l'effort de modernisation de l'enseignement supérieur dans les différents pays de l'Union. Les uns et les autres usent des mêmes termes pour définir les nouvelles orientations préconisées par les gouvernements européens - autonomie, excellence, concurrence, ouverture sur le secteur privé -, mais ces mots, qui apparaissent aux seconds comme porteurs des plus graves dangers, sont considérés par les premiers comme garants des plus désirables progrès.


On ne saurait imaginer opposition plus frontale entre deux conceptions de l'avenir de l'enseignement supérieur : d'un côté, la défense d'un service public jugé menacé par la perspective d'une soumission aux intérêts privés ; de l'autre, la volonté d'améliorer la compétitivité des universités européennes en développant des partenariats avec le monde des entreprises. La loi d'autonomie des universités, selon ses opposants, "amorce une logique de démantèlement de l'enseignement supérieur public, d'augmentation des droits d'inscription des étudiants, de fragmentation du corps enseignant, de subordination aux lois de la concurrence et aux caprices du marché du travail", comme l'écrivent les signataires d'une pétition publiée par Libération le 16 novembre.

Directeur de l'Observatoire européen des politiques universitaires, le philosophe Alain Renaut constate, dans Le Monde du 17 novembre, que, "dans tous les systèmes universitaires des grandes démocraties", la possibilité de s'ouvrir à des fonds privés est "l'un des moyens auxquels il peut être envisagé de recourir" pour contribuer au financement des universités. C'est cette voie que l'Europe encourage afin de répondre aux nouveaux besoins de l'enseignement supérieur, dans le respect de ses missions de service public. "Il faut se demander, ajoute l'auteur, par quelle défaillance de l'intelligence on peut en venir à considérer que des fonds privés s'apparentent nécessairement à de l'argent sale et vont être affectés à de basses oeuvres incompatibles avec les valeurs de l'esprit."

En l'absence de la ministre française, Valérie Pécresse, occupée à d'autres tâches, la plupart de ses collègues ont donc plaidé, à Bruxelles, pour un nouveau modèle universitaire, inspiré plus ou moins explicitement de l'exemple américain et destiné à se substituer à un système marqué notamment, selon la Commission européenne, "par la combinaison d'un excès de contrôle public et d'une insuffisance des financements". L'un après l'autre, les représentants de la Grande-Bretagne, de la Finlande, de la Grèce, de la Belgique, de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Italie, de l'Autriche, du Danemark, de la Lettonie, de la Suède, de la Hongrie, de la Slovaquie, pour n'en citer que quelques-uns, ont présenté les réformes en cours ou en préparation dans leur pays, proches de celle qui vient d'être adoptée en France.

Il va de soi que ces réformes, en France comme ailleurs, appellent la discussion, la critique, la controverse, que certaines de leurs dispositions peuvent être contestées ou rejetées, que les risques d'une privatisation du service public doivent être dénoncés et combattus, que la transposition du modèle américain, quelles que soient ses qualités, ne saurait tenir lieu de politique. Mais la stratégie européenne, qui vise à mettre en place un réseau diversifié d'universités capable de répondre aux exigences de la nouvelle "économie de la connaissance", semble aujourd'hui la meilleure voie pour assurer la rénovation de l'enseignement supérieur.

Thomas Ferenczi
Article paru dans l'édition du 23.11.07.

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